Voici une critique réalisée par l'auteur du blog Lenin's Tomb à propos du livre de la journaliste féministe anglaise Laurie Penny. Le livre, qui n'existe actuellement qu'en Anglais, soulève l'importante question d'Internet comme lieu de construction sociale et de la façon dont celui-ci reproduira (ou ne reproduira pas) les travers sexistes de la société qui l'entoure. Une question essentielle, qui me touche aussi en tant que bloggeuse; la structure d'internet est encore en phase d'évolution, quelle place les féministes doivent-elles y prendre ? rr2012
Je viens
de terminer la lecture du livre « Cybersexism » par Laurie Penny. C’est
un court et passionné hommage écrit à Internet, à ces nombreux mondes vivants,
à ses espaces heterotopiques (ndt : localisation physique de l'utopie), à ses
intensités libidinales, à ses timidités, à se fans de fictions érotiques, à ses
communautés libertines, geeks et nerds. Le livre insiste sur le fait qu’Internet
est réel. Ce n’est pas un jeu ; ce ne sont pas que des mots. C’est un « espace
public, un espace réel ; c’est de plus en plus l’endroit où nous interagissons
socialement, où nous réalisons notre travail, où nous organisons nos vies et où
nous nous engageons politiquement ». « C’est l’endroit où nous
vivons, travaillons, nous battons, baisons et créons des liens. »
Et c’est
là le secret du livre. Sans cette approche, il pourrait bien se résumer à une
amère et sardonique énonciation des sales imprécations sexistes, des menaces de
viol et des fantasmes de meurtre dont les femmes sont la cible sur internet – y
compris l’auteure du livre. Sans cette approche, le livre serait trop
facilement récupérable dans le mauvais sens pour soutenir un contrôle plus
important de l’activité sur internet. Cependant, même si l’auteure traite avec
un mépris vigoureux l’hypocrisie des phallocrates qui hurlent à la censure, le
sujet est traité d’une manière beaucoup trop scrupuleuse d’un point de vue
féministe pour réellement rejoindre la tendance prohibitionniste officielle.
Une personne ne peut pas chercher à « atteindre des objectifs radicaux en
utilisant des moyens conservateurs ». On ne peut pas en même temps blâmer « la
gigantosité de l’impérialisme du porno » et espérer réduire le périmètre
de la menace grâce à la prophylaxie du gouvernement. La censure n’est pas une
affaire de protection, c’est une question de contrôle, et les personnes qui sont
contrôlées de manière disproportionné se révèlent souvent être des personnes au
féminin.
Non, en
substance, l’appel que lance le livre est simplement celui-ci : les
utopies d’internet, l’aventure, les dangers et le fruit défendu que ce réseau
représente, doivent aussi être ouverts aux femmes. Si les femmes y sont
déshumanisées et qu’on leur nie « un large accès libre aux mêmes canaux
que ceux qu’apprécient les hommes », alors le réseau ne fonctionne tout
simplement pas. Il est « brisé et doit être remis à jour ». Le livre
en appelle à ceux (essentiellement des geeks) qui s’intéressent à internet
comme un espace authentiquement libre et égalitaire. Ça s’appelle de l’action
collective.
Quelle
genre d’action collective ? En fait, comme le souligne le livre, les
femmes ont toujours été en proie à une surveillance de la part de leurs pairs
et de leurs ainés ; grâce à internet, les hommes deviennent
potentiellement en proie à cette surveillance aussi. « La vigilance online »,
au sein de laquelle des essaims de militants et de militantes s’unissent pour
dénoncer les misogynes, trolls et harceleurs, exploite cet état de fait. C’est
là que réside potentiellement la part obscure évidemment, comme dans toutes les
actions collectives. Mais la question importante est que l’architecture d’internet
est encore en cours de construction. « Les systèmes peuvent être réécrits,
les protocoles mis à jour. L’architecture sociale qui nous construisons en
ligne aujourd’hui sera celle dans laquelle grandira la prochaine génération, et
si elle ressemble trop à la structure dans laquelle nous avons grandit, pour
tous nos projets de futur, on est baisés. »
La prose
de ce petit livre a été décrite comme « crue » ; ce n’est pas
tout à fait vrai. C’est aussi stylé que d’habitude. Il y a du spirituel, des
tournures de phrases lapidaires, des soulèvements de sourcilles et l’ironie
comme drapeau (s’adressant, comme je le disais, aux nerds et aux nerdettes,
mais aussi en traitant des conversations, des jeux et du sexe en ligne). On y
retrouve les traits de caractère de Laurie Penny. Mais il y a aussi une partie
descriptive. Le livre est didactique, voire persuasif, et il est moins
personnel que ce qu’on aurait pu en attendre. Il attise les idées. Oui, de
temps à autres il peut paraître moins mesuré et moins cadré, il peut même
sembler porter son statut de livre avec un peu plus de liberté qu’un ouvrage
comme « Meat Market ». Mais ça fonctionne. Si ce livre représente une
nouvelle phase d’écriture pour Laurie Penny, et bien cette phase est la
bienvenue.
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