Je reproduis ici le
témoignage
d’une militante de l’International
Socialist
Network qui traite de la question des minorités sexuelles et
du moralisme dans
la gauche révolutionnaire. Bien que je sois partagée sur
certains aspects,
voire complètement en désaccord avec certains passages
(comme la défense de
Tommy Sheridan et la déclaration selon laquelle il aurait
fallu se contenter de
rire de sa situation), ce témoignage a l’avantage de poser
certaines questions
que ne sont que peu souvent formulées. Notamment sur le
poids du moralisme dans
les organisations et de son influence sur la situation des
femmes en interne.
Malheureusement, ni ce
témoignage, ni la réponse qui le suit (rédigé par une autre
militante ISN) ne
traitent de la façon dont ce moralisme est à deux vitesses.
La morale n’est pas
la même pour tout le monde et la façon dont les valeurs de
« liberté
sexuelle » soixante-huitardes
ont
bien servi certains militants de gauche pour se dédouaner de
toute
responsabilité dans leur façon de se relationner avec les
femmes.
source :
Mistress Magpie : A propos de la sexualité, de la gauche et de l’outrage moral
Cela
fait des années que je suis membre de la communauté BDSM et je travaille comme
indépendante en tant que dominatrice professionnelle, web designer occasionnelle
et consultante en médias. Cela fait également des années que je suis socialiste
révolutionnaire. Je suis impliquée depuis que j’ai 16 ans à l’intérieur et hors
de la Tendance Socialiste Internationale. Il m’est récemment apparu que je
pourrais contribuer de manière utile au débat socialiste sur la sexualité et le
féminisme et sur la façon dont les socialistes devraient traiter les questions
morales. Ce qui suit n’est pas un document d’analyse ; je ne l’ai
absolument pas rédigé avec la rigueur analytique nécessaire. Cela se veut
plutôt un début de dialogue à propos du fait que des professionnels du sexe et
les socialistes pourraient avantageusement entrer en contact, et c’est pourquoi
je vais tenter d’écrire une ébauche de ma pensée.
Cela
fait des mois que je réfléchis à écrire ceci ; j’ai suivi l’affaire des
accusations de viol dans le SWP et le comportement honteux de son comité
central. Je me suis sentie inspirée par la création de l’ISN (International
Socialist Network) et j’ai décidé d’y adhérer. Je veux me réengager dans les
campagnes contre la guerre, la pauvreté et l'islamophobie qui étaient au centre
de mon passé, de ma vie de militante. Je suis également intriguée par le débat
ouvert et organique qui a eu lieu sur Facebook et ailleurs en ligne pendant la
crise du SWP, et je voudrais voir si je peux contribuer à ce que les nouvelles
organisations aillent de l'avant.
Mais
comme figure publique de la communauté BDSM et comme professionnelle du sexe,
je me dois d’être ouverte et honnête à propos de mon identité et de mes valeurs
lorsque je milite. Je suis heureuse de pouvoir œuvrer dans un réseau au sein
duquel je peux être une professionnelle du sexe qui veut se battre contre la
« bedroom tax » (Une nouvelle taxe sur les loyers
des logements sociaux qui pénalise les plus démunis) ou
l’expulsion des demandeurs d’asile sans être poussée vers la sortie, ou blâmée
ou humiliée. Le socialisme et le féminisme ont bien des choses à m’offrir comme
travailleuse du secteur du sexe. Je suis une femme blanche, cultivé et cisgenre
dans la trentaine. J’ai travaillé dans des bureaux, dans des cuisines, dans des
magasins, et j’ai subi ma part de sexisme sur le lieu de travail. Selon mon
expérience, aucun de ces métiers n’est comparable, même de loin, au type de saloperies
sexistes que je rencontre tous les jours dans mon métier.
D’une
part, les risques du métier offrent d’innombrables opportunités pour me sentir
jugée et dégradée par des personnes sexistes. Beaucoup des personnes qui me
contactent ne sont pas de réels BDSM ou de véritables fétichistes ; ce
sont des personnes qui ont trouvé une filière adulte pour m’utiliser comme la
poupée de leurs fantasmes, une version longue des personnages qu’ils voient
dans les films porno, et non pas comme une professionnelle expérimentée et
sûre. Comme beaucoup de freelance, je dois gérer beaucoup de personnes qui me
font perdre mon temps où qui ne se présentent pas. Mais dans le secteur du
sexe, c’est encore pire et j’ai souvent du mal à payer mes factures.
De
l’autre côté, je me fais choper par le moralisme de la société et de l’Etat qui
ne m’offrent que des droits inégaux et un accès limité aux services. Bien que
le métier de « dominatrice professionnelle » ne soit pas, en soi,
illégale, j’ai toute une série de problèmes spécifiques avec l’Etat. Avant
tout, ma sécurité est souvent en cause. La plupart du temps les professionnels
du sexe ont des clients gentils et adorables, mais il existe toujours le risque
de tomber sur des personnes dangereuses ou instables. Il n’y a pas d’ordre, de
syndicat ou de corporation pour fournir un moyen de dépistage, et les clients
de leur côté n'ont pas de système universel ou fiable pour évaluer l'innocuité
et la qualité du service fourni par les travailleuses du sexe. Souvent, la
police se fout de la sécurité des travailleuses du sexe et de leurs clients, et
les services médicaux de base, que ce soit le NHS ou la Charité, qui permettent
de dépister les maladies, sont ravagés par les coupures de budget.
Ensuite,
il y a les vicissitudes de gérer ma propre affaire comme travailleuse du sexe.
Je suis soumise à la taxation, mais je dois être prudente avec ce que je
demande comme déductions parce que les travailleurs du milieu du sexe sont
contrôlés plus souvent. Même si je voulais obtenir un prêt hypothécaire ou
louer des locaux pour mettre en place mon cabinet de travail, aucune banque ne
me suivrait. C’est difficile pour moi d’avoir accès aux crédits, et lorsque
j’essaie de faire connaître mon affaire, je ne peut utiliser que la partie
ghettoïsée de sites internet et de revues qui sont gérés de façon malsaine et profitent
de la situation des travailleurs-euses du sexe et de leur vulnérabilité.
Je suis catégorisée comme actrice ou animatrice ; je travaille à des
heures incroyables et si je suis blessée, il n’y a pas d’assurance pour moi, et
si j’essaie d’en contracter une, j’ai toutes mes chances de terminer dans un
centre pour l’emploi, déjà massacré par les coupures de budgets, qui sera
encore moins sympa que d’habitude.
Cette
marginalisation fait du milieu professionnel du sexe un monde réactionnaire. Il
n’y a pas beaucoup de conscience de classe – les travailleurs du sexe sont
divisés et entretiennent une compétition féroce entre eux. Malgré tout, il ya
aussi beaucoup de travailleurs(euses) du sexe qui ont un esprit communautaire
très efficaces et qui mettent en garde les uns et les autres sur les clients
dangereux et partagent l'information pour le dépistage, ce qui sécurise chacun(e)
d’entre nous. Malheureusement, il n’y a que très peu d’organisations d’aide ou
d’agences gouvernementales qui sont là pour soutenir une véritable solidarité
et conscience de classe parmi les professionnels du sexe.
Même
si je ne travaillais pas dans l’industrie du sexe, j’aurais quand même des
ennuis parce que je fais partie d’une minorité sexuelle. L’Etat et le moralisme
de la société font que je rencontre des barrières parce que je suis une pratiquante
BDSM qui a plusieurs partenaires – les docteurs, la police, les professeurs et
les voisins curieux se demandent si je suis une violeuse, ou une violée, ou
membre d’une secte, ou une criminelle, ou sujette à des désordres mentaux. Il
n’y a pas de loi anti-discrimination pour les minorités sexuelles, et les
discriminations peuvent être sévères dans la pratique, en allant des moqueries
publiques jusqu’à la perte de son travail ou la garde d’un enfant.
Et
encore, je fais partie de celles qui ont eu de la chance, je suis privilégiée en
termes de classe et de statut, j’ai de
l’expérience et j’ai pu me renseigner suffisamment pour m’en sortir dans ce nid
de crabes médiatiques. Ne serait-ce que lorsqu’il s’agit de faire mes propres
photos, textes, sites web et profils. Je suis une dominatrice, ce qui signifie
que je n’offre que du BDSM, pas du sexe, donc les risques de maladies sont bien
moins importants que pour les « escorts », malgré tout, j’ai quand même
le risque de tomber sur des clients instables et dangereux. Je sais parler
anglais et je ne suis pas une travailleuse immigrée sans papiers ou une personne
prise dans un trafic, et je travaille pour moi. J’aime vraiment mon travail
dans lequel je peux partager ma passion BDSM avec d’autres personnes ;
c’est en général une expérience pleine de plaisir pour mes clients et pour moi.
Mon boulot est aussi sûr qu’il peut l’être, puisque mes clients sont sérieux et
que je n’ai ni patron ni « mac ». Je n’ai pas d’enfants, ce qui me
met à l’abri de la perspective terrifiante de voir mes enfants tomber dans les
mains des services sociaux ou être perturbés par un ex ayant soif de vengeance
ou par des voisins curieux.
Mais
ma plus grande chance est d’avoir reçue une formation marxiste. L’analyse
socialiste du capitalisme, et les arguments socialistes pour la libération des
femmes, m’ont donné un cadre pour affronter le sexisme et le moralisme auquel
je suis confrontée en gagnant ma vie. Ils me donnent aussi un modèle pour agir
politiquement dans le cadre de ma profession et de mon appartenance à une
minorité sexuelle.
Quand
j’étais étudiante, j’ai étudié le socialisme révolutionnaire et l’histoire de
la pensée marxiste, ainsi que les différentes tentatives de faire une
révolution. Je pensais que nous nous battions tous pour une société communiste,
une société dans laquelle les relations familiales n’auraient rien à voir avec
des relations oppressantes, des clans patriarcaux ou les familles nucléaires.
On aurait mis fin aux rôles de genre forcés, à la monogamie forcée et à la
suprématie masculine.
Peut-être
que j’ai mal lu ou compris le communisme pendant toute ma vie, mais ma compréhension
du communisme a toujours inclus l’égalité pour tous et toutes, et la
possibilité pour chacun et chacune de nous dans un monde de l’après-austérité de
créer librement de façon illimitée. J'ai toujours imaginé qu'il y aurait de la
place pour des modes de vie alternatifs dans une société communiste, et depuis
de nombreuses années, j'ai développé ces deux intérêts en parallèle.
Alors imaginez mon
sentiment de colère et de trahison lorsque j’ai vu la tragique désintégration du
Scottish Socialist Party sur base d’accusations affirmant que leur leader, Tommy
Sheridan, fréquentait des sex-clubs. Le traitement de l’affaire par la presse à
scandale a été dégoutant mais compréhensible puisque ce sont des ennemis
affichés de la classe ouvrière. Les réactions de nombreuses personnes à
l’intérieur du parti, qui utilisaient des arguments soi-disant féministes pour
mener des attaques morales contre Tommy en interne, m’ont brisé le cœur. Plus
encore, j’étais contente lorsque le SWP l’a soutenu, mais j’ai toujours compris
que Tommy, quoi qu’il ait fait ou pas, était certainement traité par moralisme
comme si le fait d’aller dans des sex-clubs était quelque chose dont il aurait
du avoir honte[i].
Dans le débat très
animé de l’époque, je n’ai jamais abordé ce point. Comme Tommy, j’avais
internalisé la honte à propos du sexe qui transpire de toute la politique
socialiste. Il y avait beaucoup de grandes théories à propos de la libération
sexuelle, mais, en pratique, les socialistes parlaient avec les mêmes priorités
morales que les voix les moins progressistes de notre société. Comme cela
a été largement discuté, la récente crise du SWP n’était que la pointe de l’iceberg.
Dans
les syndicats, les collectifs militants et dans les partis révolutionnaires eux-mêmes,
des jeunes femmes ont été condamnées comme étant des provocatrices lorsque
des « hommes connus » les avaient harcelées ou même violées. Les
punitions pour ces viols sont minimes, voire inexistantes, et les survivantes
des viols et des abus sont souvent marginalisées ou exclues. Au fur et à mesure
que s’est accru mon intérêt pour le « kink » (ndt : la domination
féminine BDSM), j’ai décidé de quitter la politique. J’aimerais dire que
c’était un geste courageux de boycott, mais c’était une décision basée sur la honte ;
je ne voulais pas jeter du discrédit sur mes amis et camarades ou détourner
leur attention des causes essentielles de ce moment-là.
Il
y avait quelques raisons derrière mon auto-exclusion ; l’acceptation
générale du moralisme capitaliste avait rendu les groupes de gauche et des
dirigeants locaux particulièrement vulnérables au scandales et tracasseries
basées sur le sexe. Après chaque révélation de scandale sexuel, les groupes de
gauche avaient une opportunité de reconsidérer leur approche de la morale
sexuelle. Malheureusement, la réponse était généralement de répéter les inlassables
déclarations sur les droits des femmes, et de renforcer les aspects de moralisme
sous prétexte de les protéger lors des réunions et dans leurs fonctions, plutôt
que de faire une révision conceptuelle approfondie, qui est nécessaire. Cette
politique moraliste sur le désir – en particulier sur le désir des femmes – et
l’étouffement du débat sur la diversité sexuelle, ont créé un silence unanime à
propos du sexe.
Le
moralisme exclut plus que les femmes dans mon genre. Si la culture de nos
groupes et partis a évincé le débat à propos de la sexualité, notre silence
signifie que nous avons aussi accepté dans cette sphère les valeurs de la
société dans son ensemble. Ces valeurs sont bien entendu habilement renforcées
par le monde capitaliste qui nous entoure. Peu importe combien de livre de Rosa
Luxembourg nous pouvons vendre, ce silence signifie que nous avons intégré dans
tous les secteurs de la vie du parti les discriminations qui se développent à
l’extérieur, à propos des questions sexuelles. On peut dire au minimum que les
groupes privilégiés dans le monde capitaliste (hommes, hétérosexuels, cisgenre,
monogame, blancs) ont le même niveau de privilège dans les partis révolutionnaires
qu’en dehors de ceux-ci, et que les groupes non-privilégiés y sont désavantagés
de manière égale. Dans les faits, cela signifie que nous perdons, ou ne
recrutons jamais, des militants venant de ces groupes non-privilégiés.
Cette
perte est une honte et prive nos rangs de personnes qui ont du potentiel. Cela
peut avoir du sens, en quelque sorte, si un Tory (un membre du parti
conservateur, NdT), ou un politicien travailliste est déshonoré après qu’une
affaire de fétichisme ait été révélée ; même si la classe dominante se
dédouane régulièrement des limites morales, ceux deux partis se présentent
quand même publiquement comme les défenseurs des « valeurs traditionnelles
britanniques ». Nous, révolutionnaires,
ne devrions pas réfléchir avec ces jugements, et lorsqu’un journal annonce que
l’un de nous s’est rendu dans un sex-club, nous devrions rire, hausser les
épaules et préparer une campagne.
Les
révolutionnaires devraient aussi consacrer du temps à une réflexion sur le
moralisme à propos du sexe. Le langage et le symbolisme qui est utilisé dans le
femdom, le fétichisme et les échangistes, peut être extrêmement incorrect
politiquement. Bien entendu, pas mal de thèmes et d’images que l’on
retrouve dans les fantaisies sexuelles font écho à la dégradation, à la force,
ou renforce les stéréotypes de genre (même si parfois il les inverse). Oui, la
racine de notre désir est parfois plantée dans le sol de l’oppression et de
l’injustice. Mais c’est également là que se trouvent les racines du mariage, de
la propriété, de l’utilisation d’une voiture, du choix des chaussures à talon,
toutes choses qui sont communes à des révolutionnaires. Les révolutionnaires sont
censés mettre leur énergie dans un changement de système et non pas à
essayer de changer les styles de vie individuels. Nous marchons côte à côté
lors des manifestations, qu’on soit musulman pratiquant ou anarchiste, et nous
respectons les droits de chacun à une vie privée, tant que les droits de tous
sont respectés.
Les
progressistes qui s’essaient au femdom ou au fétichisme se sentent parfois
horrifiés de ce en quoi ils peuvent se transformer. Si vous faite partie de ces
personnes, je peux vous offrir l’expérience qui me vient de mes années de mal
au ventre et d’inquiétude et essayer de vous les épargner : vos désirs
sexuels et vos besoins ne traduisent pas votre politique, et certainement pas
d’une manière crue et indirecte. Vous pouvez être le révolutionnaire le plus
efficace, instruit et dévoué du monde, et avoir déjà eu l’idée de dominer une
autre personne, ou d’être dominé. Vous pouvez même avoir un fantasme de viol
violent ou d’être humilié ou insulté ; lorsque cela se passe dans un
contexte de consentement discuté et
volontaire, c’est parfaitement acceptable. Aucune de ces choses, en soi, ne devrait
vous détourner plus de votre auto-évaluation philosophique que si vous adoriez
un certain type de musique ou les films de gangsters.
Comme
révolutionnaires, nous défendons d’une seule voix le droit d’une femme à porter
le voile (ndt : dans le contexte belge et français, cette affirmation est
fausse ; voire l’incroyable débat sur la candidature de Ihlam Moussaid au
NPA), et celui d’une adolescente à être vaccinée contre les maladies vénériennes.
Nous devrions aussi défendre notre
diversité sexuelle et nous former à cette politique. Ainsi instruits, nous
aurons l'occasion de nous soutenir mutuellement et de promouvoir une culture où
les gens se sentiront libres de poursuivre leurs désirs, en gardant l'éthique
et les valeurs progressistes à l'esprit.
Quand
on s’engage sur la voie du moralisme, on commence à avoir des jugements de
valeurs à propos des autres en nous basant sur des valeurs érigées comme telles
par nos oppresseurs. Ces valeurs créent le silence autour des questions sexuelles
dans nos familles et nos communautés. Ce silence est complice du marché, qui
offre de nombreuses options pour les personnes isolées. Certaines de ces
options sont éthiques et impliquent des personnes librement consentantes ;
d’autres ne le sont pas. Lorsqu’on laisse tomber le moralisme, lorsqu’on laisse
tomber le silence et qu’on a la capacité de parler ouvertement des désirs
sexuels, nous créons non seulement un espace sécurisant dans lequel les révolutionnaires
peuvent parler du désir, mais aussi une possibilité stable d’aborder et
d’explorer nos désirs d’une façon éthique et progressiste. Si les groupes révolutionnaires
abandonnent le moralisme, ceux de nos membres qui le souhaitent auront plus
facilement des possibilités éthiques d’explorer leurs désirs, comme des sex-club
libres et sécurisés. Une professionnelle du sexe, pourra travailler de manière
indépendante et en sécurité, plutôt que d’affronter des affaires risquées, des
choix insensés, des travailleuses du sexe victimes de trafics ou à des clubs de
strip ou de massages basés sur l’exploitation.
Il
est important d’avoir également une approche nuancée envers les professionnels
du sexe dans nos engagements politiques avec eux (et elles). Je suis une
travailleuse professionnelle du sexe qui aime son métier, mais je suis bien
assez consciente des milliers de femmes, enfants et hommes qui travaillent dans
le sexe contre leur volonté, tenus par la force ou par la pauvreté. Combattre
pour la décriminalisation du secteur du sexe et abandonner les jugements moraux
seraient un premier bon pas pour amener des idées socialistes aux travailleurs
du sexe et mettre fin au trafic. Bien qu’il soit improbable qu’un grand
syndicat accepte des travailleurs du sexe, s’adresser aux groupes qui
travaillent sur la sécurité ou aux auteurs de sites web qui diffusent des informations
sur la sécurité de ces travailleurs, pourrait être un premier pas utile pour
intéresser ces travailleurs à s’organiser en syndicats.
Je
suis contente de rejoindre ce réseau (http://internationalsocialistnetwork.org/),
fort de l’optimisme qu’on pourra enfin avoir une organisation dans laquelle il
y aura un espace pour que moi, ou d’autres personnes appartenant à une minorité
sexuelle, ou pour des travailleurs du sexe – un espace au sein duquel mon
expérience ne sera pas seulement acceptée et considérée, mais qui pourra aussi
contribuer à créer un dialogue. Je suis à la recherche de ce dialogue, et je veux
aider à développer une compréhension socialiste de la diversité sexuelle.
[i] L’affaire de Tommy Sheridan est plus
complexe qu’une cabale pour de mauvaises raisons morales. Membre du Parti
Socialiste Ecossais, il fut, en 1999, l'élu des quartiers populaires de Glasgow.
La crise a
commencé lorsqu’un tabloïd a révélé que Tommy Sheridan fréquentait des
bars échangistes. Celui-ci a décidé de faire un procès à ce journal, alors que
la direction du SSP lui a demandé de ne pas le faire et aurait demandé à des
dirigeants du SSP appelés à témoigner lors du procès de faire des faux
témoignages. Ils ont refusé et ont été par conséquent qualifiés de traîtres par
beaucoup de monde.
Sexisme,
féminisme et gauche ne partage pas la défense que l’auteur fait de Sheridan,
mais sans exercer de censure.
Toni M. Une réponse à Mistress Magpie – Sur la
sexualité, la gauche et mon outrage moral très spécifique
On devrait accueillir favorablement
l’article de Mistress Magpie et s’en réjouir, dans la gauche en général et dans
l’ISN en particulier. Le voyage qui a amené ceux qui ont quitté le SWP là où
ils sont a été long et pénible, et un enjeu important à été l’affrontement avec
l’orthodoxie de notre ancien parti à propos du genre, du socialisme et de la
sexualité des femmes. Pendant trop longtemps, les socialistes révolutionnaires
ont vacillé entre le parti puritain léniniste et l’apologie de la violence
sexuelle. La précieuse et pertinente contribution de Mistress Magpie donne au
réseau IS l’opportunité de voir la réalité matérielle d’une forme particulière
de travail dans le secteur du sexe. Les révolutionnaires socialistes ont trop
souvent fait des déclarations sur base d’une compréhension par trop limitées de
ces conditions matérielles.
La
description qu’elle fait du sexisme qu’elle vit comme travailleuse du sexe dans
la communauté BDSM et l’exposé de ses conditions de sécurité sont très
convaincants. C’est difficile pour quelqu’un qui n’est pas une professionnelle
du sexe d’imaginer comment une forme de travail qui implique des transactions
ou des actes sexuels pourrait éviter d’être oppressive pour les femmes
impliquées. Mais ça ne peut pas être difficile pour des socialistes
révolutionnaires d’écouter une femme lorsqu’elle explique son expérimentation
de l’oppression. Nous devons absolument soutenir les tentatives de tous les
travailleurs qui veulent s’organiser et construire une solidarité dans leur
profession, des difficultés que Mistress Magpie commence à aborder.
Mais cela
ne veux pas non plus dire que ceux qui font partie d’une minorité sexuelle sont
opprimés de la même manière que les femmes, les homosexuels et les personnes
trans-genre, et je ne pense pas que c’est ce qu’elle voulait dire. Ces
oppressions ont un contexte historique qui leur est propre et qui est répandu
partout.
Il y a eu
des autres tentatives d’analyser l’industrie du sexe, et elles ont toutes
échoué, selon moi, pour une raison principale : c’étaient des tentatives
d’analyse holistiques (qui s'intéresse à son
objet comme constituant un tout), ce qui était ridicule.
Il peut y
avoir des thèmes communs aux différentes facettes de l’industrie du sexe. Par
exemple, les travailleurs et travailleuses du sexe sont toujours plus sujets à
des risques de violence dans le cadre de leur travail et ils – elles effectuent
tou(te)s des transactions basées sur la sexualité.
Mais il y a aussi des différences
notables. Ils font peut-être partie d’un même phénomène, mais ce sont des
métiers différents. Une travailleuse du sexe peut être une femme victime d’un
trafic qui est forcée à vendre du sexe dans un bordel – ce qui revient à de
l’esclavage et du viol.
Une travailleuse peut vendre du
sexe dans la rue pour pouvoir payer de la drogue ou simplement des factures.
Rosie W. explique que le consentement doit être un « oui, enthousiaste et
librement exprimé ». Sur cette base, quand une femme sent qu’elle ne peut
pas dire non, parce qu’elle a besoin d’argent, ce n’est pas du consentement,
c’est du viol.
Je me
rends bien compte que les pratiques d’une travailleuse du sexe qui est
indépendante et qui travaille dans un contexte sécurisé, sont différentes par
bien des points de la réalité d’une femme accro à la drogue ou réduite à
l’esclavage dans un bordel, et je m’en remets à l’expérience de M.M.
Mais je
n’accepte pas que l’ouverture à propos de la sexualité serve à encourager les
hommes qui achètent du sexe. Vouloir une relation sexuelle avec une femme qui
n’a pas le choix, c’est du viol et c’est une expression violente de pouvoir
sexuel, c’est une motivation bien différente de celle que M.M. prête à ses
clients.
L’industrie
du sexe s’étend bien entendu au-delà des clubs de strip, du burlesque et du BDSM,
et elle varie largement selon l’établissement et selon la situation des travailleuses.
Ce qui est
clair, c'est que ce n'est pas le rôle des révolutionnaires
de prendre ces femmes par la main pour tenter de leur «expliquer
patiemment" l’oppression qu’elles vivent d'une manière
réductionniste, sans chercher à comprendre
les circonstances matérielles dans lesquelles elles vivent. Le rôle des révolutionnaires est de les soutenir
quand elles essaient de s’organiser contre la persécution de l’Etat.
Ma remise
en question concerne l’analyse de Mistresse Magpie selon laquelle l’oppression
subie comme travailleuses du sexe BDSM serait le résultat du statut de minorité
sexuelle, plutôt que celui qui découle de la situation d’une femme qui vend du
sexe ou de la sexualité.
Je veux
bien qu’on parle de cas comme « Opération Spanner », où un groupe
d’homosexuels furent condamnés pour avoir pratiqué du sadomasochisme de manière
consensuelle, mais je tiens aussi compte du fait que des cas similaires de
blessures physiques impliquent des couples hétérosexuels et que les mêmes
pratiques chez les partenaires de même sexe sont plus facilement pointées et
punies.
Je me
demande aussi si le fait qu’on enlève la garde des enfants aux travailleuses du
sexe est le résultat d’une discrimination contre leur statut de minorité
sexuelle. En fait, je dirais même que je suis en désaccord.
La
décision d’enlever des enfants à une famille revient au tribunal, et se base
sur un ensemble de preuves amenées par les assistants sociaux qui indiquent que
l’enfant court le risque d’être blessé ou traumatisé de manière significative.
On peut trouver beaucoup de raisons qui indiquent qu’un enfant risque d’être blessé ou
traumatisé en vivant avec une professionnelle du sexe, tout comme on peut
trouver beaucoup de raisons qui indiquent qu’un enfant risque d’être blessé ou
traumatisé ? en vivant avec une non-professionnelle du sexe. Peut-être que
la transaction sexuelle a lieu dans la maison, ce qui augmente le risque
d’exposer l’enfant à des violences. Peut-être que la transaction sexuelle a
lieu en dehors de la maison et que l’enfant est laissé seul. Si des adultes
consentants ont une relation sexuelle dans un espace privé, les services
sociaux ne sont pas habilités à s’y intéresser.
Les assistants sociaux exercent une profession qui est radicale en soi,
et ils s'engagent à « tenir
compte de l'impact de l'inégalité,
des désavantages et de la discrimination sur les personnes qui font appel aux services
sociaux» et à «être conscients de
l'impact de leurs propres valeurs
dans la pratique de leur mission avec différents
groupes d'usagers et de patients".
Les assistants sociaux ne s’engagent pas seulement à ne pas discriminer, mais
ils affrontent la discrimination là où ils la constatent. Je suis certaine
qu’il y a des exceptions, mais la profession n’est pas là pour moraliser ou
arracher des enfants, et ce mythe est une notion réactionnaire.
Ce avec
quoi je suis par contre d’accord dans la déclaration de M.M., c’est sa vision
du communisme ; une société correctement organisée devrait mettre fin à la
suprématie masculine et aux rôles de genre tels que nous les connaissons. Je ne
sais pas si cela signifie la fin de la monogamie, mais cela signifierait
certainement de ne plus limiter la perspective sexuelle à cela, et que si les
gens ne veulent pas être monogames, qu’il n’y ait pas de problèmes avec ça.
Mais ma
vision du communisme inclut également la fin de l’industrie du sexe. Si dans
une société communiste, les femmes doivent être libres, comment serait-il
possible que leurs corps, leur sexualité, leurs caresses, soient à
vendre ?
Les
styles de vie alternatifs se réaliseront sous le communisme, et les relations
sexuelles seront transformées comme tout le reste. Nous ne devons pas essayer
de changer les styles de vie individuels. Pourquoi le ferions-nous ? La
relation sexuelle entre deux adultes consentants ne regarde qu’eux et les
révolutionnaires doivent se limiter à soutenir ceux qui doivent défendre leur
style de vie contre l’Etat et les médias.
Mais je
suis tout de même intriguée par l’analyse du moralisme que fait Mistress
Magpie. Un moralisme qu’elle décrit comme un ensemble de jugements de valeurs désignés
par l’oppresseur. Que se passe-t-il si plusieurs valeurs sont en cause ?
Qu’en est-il du jugement des féministes contre l’homme qui va acheter du sexe
dans un bordel ? Est-ce du moralisme ? Si c’est le cas ; le
moralisme est-il toujours inacceptable ? Je défendrai toutes les travailleuses
du sexe, de quelque discipline que ce soit, contre tout jugement – mais je juge
les hommes qui paient pour du sexe.
Je pense
que nous devons aussi être prudents dans la dénégation de la monogamie comme si
elle était oppressive et restrictive, et dans la défense des femdom et des
sexualités alternatives comme si elles étaient libératrices ou aventureuses. La
réalité est que les comportements d’oppression et le viol existent dans les
deux cas. Nous ne pouvons pas approuver la mise en opposition du second comme
déviant et du premier comme étant moraliste, alors que l’opposition doit être
faite contre l’exploitation.
pour suivre le débat sur International Socialist Network : http://internationalsocialistnetwork.org
Traduction pour http://sexismeagauche.blogspot.be : rebelderosa2012
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