Maxi B.
Je voudrais décrire quelques points pratiques sur la façon dont je pense que le
socialisme révolutionnaire devrait gérer les choses lorsqu’il est confronté à
l’oppression. Quoi qu’il en soit, cela s’étend aussi à une critique politique
de certains comportements de « bon sens » dont j’ai fait l’expérience
à l’intérieur des organisations de gauche. Ce ne sont que quelques idées, mais
j’espère qu’elles permettront d’ouvrir le débat.
Nous
vivons dans une société dans laquelle l’oppression se ressent dans tous les
aspects de notre existence ; que ce soit dans la façon dont nous sommes
traités au travail, dans la rue, dans nos foyers, dans les médias ou de par
l’accès aux services publics et aux soins de santé.
Le
sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie et l’intolérance vis-à-vis
des handicaps traversent tout le monde matériel et celui de notre conscience.
Il ne faut pas nécessairement être une « mauvaise » personne pour
régurgiter ces idées qui nous sont servies dans les médias, par les systèmes d’éducation
et la culture populaire. L’hégémonie capitaliste a le pouvoir de permettre à
ces idées de prévaloir et de réduire leur opposition au silence.
Ainsi, lorsqu’il
s’agit d’organiser un parti révolutionnaire ouvert aux masses, comment créer un
parti qui convienne à l’ensemble de la classe des travailleuses(eurs) ,
et qui puisse comprendre la lutte contre l’oppression sous toutes ses
formes ?
L’auto-organisation
Une chose
fondamentale que je souhaiterais voir dans les partis révolutionnaires c’est la
capacité des groupes opprimés d’organiser des réunions spécifiques qui permettent
d’élaborer la théorie et la pratique du parti autour de leur oppression
particulière (sexisme, racisme, transphobie, etc.). En pratique, il est clair
que si les femmes, les personnes issues de l’immigration, les personnes LGBTQ
et les personnes porteuses de handicaps peuvent s’auto-organiser à la fois à
l’intérieur, mais à l’abri, des mécanismes du parti, elles auront plus de
chances de parler librement. On peut alors parler sans avoir peur que notre
expérience soit décrédibilisée, sans craindre de ne pas être compris ou de voir
nos idées mises sur le côté. Dans un monde idéal, l’organisation par groupes
spécifiques ne devrait normalement pas être quelque chose de nécessaire, mais puisque
la réalité est celle de vivre quotidiennement l’expérience de l’oppression et
des ségrégations que crée le capitalisme, alors la nécessité de partager d’abord
ses idées avant de les injecter dans la masse du parti devient nécessaire, et
c’est une chose à laquelle les membres doivent simplement s’habituer.
J’entends
d’ici les commentaires du type « c’est du séparatisme » ou « les
hommes peuvent aussi combattre le sexisme » ; des commentaires qui ne
réussissent pas à voir pourquoi l’auto-organisation est importante. Dire que
l’auto-organisation revient à du séparatisme est une faute politique et est
injuriant. Si vous présentez l’auto-organisation comme une tentative de détourner
la lutte de classe, alors vous essayer de réduire au silence la voix de groupes
opprimés. Si vous dites aussi « Si vous ne pouvez pas nous le dire d’une
manière qu’on puisse comprendre, alors ne le dites pas du tout », alors
vous faite activement reculer la lutte.
Dire que
les hommes peuvent aussi combattre le sexisme est sans doute une évidence, mais
ce n’est pas une critique adéquate de l’auto-organisation. L’objectif de
l’auto-organisation n’est pas de faire évoluer ces groupes à part du parti,
mais bien un moyen d’éduquer le reste du parti et de le gagner à des politiques
de libération, y compris en rendant visible pour l’ensemble du parti les
nouveaux développements et les nouvelles opportunités de la lutte de classe.
Une autre
chose que des groupes auto-organisés apporteraient au parti est une
contribution théorique supplémentaire au marxisme et à sa capacité à retracer
les racines de l'oppression dans la société de classe. Il y a souvent des
débats politiques pointus en interne, qui pourraient attirer un public plus
large que nos seuls courants politiques - tels que ceux qui sont actuellement
en cours au sein du mouvement féministe.
L’auto-organisation
peut créer des réseaux à l’intérieur de nos partis qui permettront d’affiner
notre politique. Par exemple, mon problème comme militant LGBTQ est souvent de
trouver d’autres camarades LGBTQ avec qui discuter des idées ou partager des
ressources. Nous devons encourager ces discussions et ces débats à l’intérieur
même de la littérature du parti (journal, magazine, bulletins internes,…) –
quelque chose dont le groupe autogéré pourrait prendre la responsabilité.
Mon
expérience du mouvement LGBTQ (bien que le combat LGBTQ reste à un niveaux très
bas en Grande Bretagne) est que, lorsque de nouvelles questions émergent suite
à un mouvement de réorientation, les analyses du parti se basent sur des conceptions
dépassées et sont souvent inapplicables au climat politique actuel et à ses
nouveaux développements. L’auto-organisation pourrait garantir que le parti
reste en phase avec le mouvement particulier de libération et ne pas être surpris
sans préparation à chaque changement au sein de celui-ci.
Permettre
l’auto-organisation ne peut que permettre d’aider à la construction du parti.
Il faut vraiment tenir compte du fait que bien des personnes prennent
conscience de leur oppression en prenant conscience de leur identité comme
femme, personne LGBTQ, personne de couleur ou personne ayant un handicap. Nous
savons cela parce que notre travail quotidien est d’élever la conscience de
classe ; beaucoup d’entre nous sont là parce que leur conscience
socialiste révolutionnaire les a rattrapé alors qu’ils venaient d’autres
courants ou mouvements politiques. En donnant à l’auto-organisation l’espace et
le temps dont elle a besoin à l’intérieur du parti, nous créons de l’espace
pour les gens de la classe ouvrière qui s’identifient à une oppression
particulière, ou à une politique d’identité, afin que ceux-ci viennent et
entendent des arguments socialistes. C’est une opportunité de leur montrer que
l’oppression trouve ses racines dans le système capitaliste et de les gagner à
la cause de la lutte de classe.
Des espaces spécifiques et sûrs
Différents
groupes de gauche ont utilisé une politique d’espaces spécifiques et sûrs, de
manières fort différentes, certains avec plus de succès que d’autres.
Fondamentalement, une politique d’espaces spécifiques et sûrs est un ensemble
de règles qui vaut pour tous les membres, qui pose les bases de comportement
lorsque nous sommes en réunion, en conférence ou en manif. Cela donne un signal
clair du fait que le harcèlement sexuel et la violence à l’égard des camarades femmes
ne sera pas tolérée et que les comportements oppressifs ne seront pas
tolérés.
Cela
donne aussi un signal clair à ceux qui seraient tentés d’agir de la sorte, et,
plus important, un point de contact pour ceux qui subissent ces comportements.
Cela montre un ferme engagement à accueillir et protéger les groupes opprimés,
et cela nous donne les mécanismes pour gérer immédiatement les plaintes. Enfin,
cela montrera le parti pour ce qu’il est ; une tribune pour les opprimés.
La
particularité de toute politique de lieux spécifiques et sûrs doit être répétée
encore et encore, mais, l’essence de l’idée est que nous devons clarifier ce
que nous ne tolèrerons pas dans nos rencontres, congrès, conférences ou front
de travailleuses et travailleurs ; nous ne tolèrerons pas que le racisme,
le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le rejet des personnes ayant un
handicap, se mêlent dans nos pratiques politiques.
Il y a
des comportements qui ne doivent même pas passer par le stade de
l’avertissement, comme la violence (ou la menace de violence), la
violence sexuelle et le harcèlement sexuel – Je ne crois pas que qui que ce
soit ait envie de se retrouver dans un cadre dans lequel il est acceptable de
se comporter de cette façon entre camarades.
Prendre
le temps de poser ces bases peut apparaître comme du travail supplémentaire,
mais elles permettent d’introduire des catégories de personnes qui font partie
de la même classe et que les organisations révolutionnaires ratent souvent.
C’est une chose que de clamer fièrement une tradition de combat pour la
libération des personnes, mais si nous ne réussissons pas à créer des espaces
spécifiques et sûrs pour les groupes opprimés, alors nous échouerons dans la mise
en pratique de nos idées.
Certains
prétendent que les organisations révolutionnaires n’ont pas besoin de ce genre
de mécanismes parce que tous les membres sont des socialistes révolutionnaires
et sont donc opposés aux oppressions sous toutes leurs formes. Mais c’est ne
pas tenir compte de l’analyse propre au matérialisme historique sur la façon
dont nos idées se forment dans les conditions matérielles de la société dans
laquelle nous vivons, ni prendre en considération que les idées dominantes
à un moment déterminée sont celles de la classe dirigeante. En tant que révolutionnaires,
nous espérons affronter et chasser l’ordre social qui crée l’oppression, mais
nous ne sommes pas immunisés contre les idées dominantes et les comportements
d’oppression. Dire cela reviendrait à clamer une supériorité morale selon
laquelle nous serions, d’une certaine façon, protégés contre le capitalisme,
son hégémonie persuasive et son aliénation – ce qui serait en contradiction
avec l’analyse matérialiste historique du monde.
Certains
pourraient aussi répondre qu’une partie assez importante de la classe ouvrière
ne se retrouve dans aucun de ces groupes opprimés et subit quand même
l’oppression. Je suis bien d’accord, nous sommes tous opprimés puisque tant que
la société de classe existera je crois qu’il sera impossible d’éliminer
l’oppression. La classe ouvrière sera opprimés jusqu’au renversement
révolutionnaire du capitalisme et la construction d’une société socialiste.
Cependant,
si nous ne prenons pas la question de la libération des membres de la classe
ouvrière au sérieux, en adaptant les fonctionnements du parti afin de relever
notre niveau politique, nous risquons de perdre des secteurs de cette classe
pour notre combat. Si les socialistes révolutionnaires restent passifs par
rapport au combat contre les oppressions spécifiques, nous allons perdre ces
personnes au profit du réformisme. Les groupes opprimés doivent pouvoir
considérer le parti révolutionnaire comme leur « chez-eux » ;
alors faisons le nécessaire pour que ce soit le cas.
Source : International Socialist Network
Traduction française pour http://sexismesagauche.blogspot.be/
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