Sarah Webster
A la lumière de la crise du SWP britannique, Sarah
Webster met en discussion le problème des accusations d’abus sexuels et de
misogynie dans les organisations politiques. Elle explique pourquoi il est
nécessaire de mettre les droits personnels et les besoins de la victime en
priorité.
La crise qui sévit actuellement dans le SWP a été déclenchée
par la façon dont le parti a traité une plainte grave concernant un ancien
membre du Comité Central. Il est clair que la plainte a été traitée d’une
manière épouvantable et qu’il y a de sérieuses critiques à faire au sujet du
traitement qu’a subit la femme impliquée, en ce y compris des interrogatoires sur
ses relations sexuelles précédentes. Le SWP, sa direction et ses membres,
doivent prendre répondre à ces critiques et en tenir compte.
Mais la situation, et les réactions qu’elle a suscitées en
dehors du SWP, soulèvent une question plus large sur la façon dont les
organisations de gauche devraient agir face à des accusations de viol, d’abus
sexuels ou de harcèlement.
Les divisions sectaires pourraient nous faire passer à côté
de problèmes qui touchent nos organisations de manière générale. Ceux qui se
gaussent de l’échec du SWP ne semblent pas savoir que dans d’autres
organisations de gauche, il a aussi fallu se battre pour réussir à faire
aboutir des accusations de ce genre. La permanence d’une domination misogynie à
l’intérieur des organisations a été bien documentée. Ce sexisme qui reste
relativement « non-combattu » contribue à créer des contextes au sein
desquels les abus sexuels peuvent être ignorés et même couverts ; des
situations au cours desquels les mêmes préjugés sur le viol que l’on trouve
dans la société sont utilisés pour diaboliser et blâmer celles qui portent des
accusations. Le problème touche toutes nos organisations et le changement doit
donc avoir lieu dans l’entièreté du mouvement. Le fait de critiquer le SWP ne
sert à rien si les divisions sectaires nous permettent d’ignorer que le même
type de manquements existe dans les autres organisations.
Il est question ici de deux arguments généraux. Premièrement
que l’idéologie politique et les loyautés ne devraient pas être placées avant
le droit individuel de chacun à la justice ou avant la sûreté des femmes dans
les organisations politiques. Deuxièmement, que si nous voulons contrer la
culture du viol et identifier les violeurs, nous devons éviter de créer un
environnement qui soit insupportable pour les victimes et nuisible à leur
bien-être.
Cet argument s’applique autant aux organisations de gauche
que de droite. Les organisations de gauche ne sont pas plus enclines à
connaître en leur sein des violences sexuelles que les organisations de droite.
Cependant, puisque la gauche a l’ambition d’apporter des changements radicaux
dans la société, en particulier à propos des droits des femmes, elle doit être
particulièrement attentive au fait de ne pas reproduire et renforcer, à
l’intérieur de ses structures, les échecs de la société à l’égard de la moitié
de sa population. La gauche doit changer sa façon de traiter des accusations de
violences sexuelles, et de manière plus générale, sa façon de traiter la
misogynie et le sexisme, si elle veut pouvoir s’attaquer à des problèmes de
société plus larges.
On a vu fleurir sur le net un nombre incroyable de critiques
et d’analyses sur la façon dont le SWP aurait du agir au lieu d’enquêter en
interne sur les accusations. Les critiques sont divisées sur le fait de savoir
quelle aurait été la réponse appropriée, avec comme point de division principal
la question d’impliquer la police ou pas. Certains des arguments soulevés sont
profondément inquiétants, soit parce qu'ils semblent minimiser la gravité de la
violence sexuelle ou parce qu'ils chargent les victimes du devoir moral de
protéger les futures victimes potentielles.
On a lu deux arguments principaux contre l’implication de la
police. Tout d’abord, certains ont argumenté contre l’implication de la police
en disant que c’est contraire aux principes révolutionnaires du SWP et des
organisations du même type. Ensuite, d’autres ont fait remarquer qu’il y avait
« une sérieuse possibilité pour qu’un tel cas soit utilisé par l’Etat pour
nuire à l’organisation dans son ensemble ». La préoccupation de voir la
réputation de l’organisation abîmée impliquerait donc d’éviter d’impliquer la
police. Les deux arguments suggèrent donc qu’il est préférable que les
organisations révolutionnaires n’impliquent pas la police et traitent de
manière interne des accusations d’abus sexuels. Ces deux points de vue
impliquent que la réputation des organisations est plus importante que la
sécurité des femmes.
D’autres critiques pensent que la police aurait du être
avertie immédiatement. Leur argument est que le SWP a le devoir moral de faire
connaître des accusations concernant des actes criminels afin de protéger
d’autres victimes potentielles d’être agressées. Bien que reconnaissant les
manquements de la police sur le sujet, ils pensent que cela reste néanmoins le
meilleur endroit, comme institution, pour mener les investigations nécessaires.
En d’autres termes, le SWP et les autres organisations ont comme devoir moral
de protéger les victimes potentielles dans les organisations et dans la société
de manière plus générale. Dans ce cas, l’enquête de la police et les preuves
qu’elle trouvera devront être utilisées afin de protéger au mieux les futures
victimes potentielles. Le viol, plutôt que d'être conçu essentiellement comme
une affaire personnelle, devient alors un problème de société qui nécessite
plus d'actions à court terme (par rapport aux objectifs révolutionnaires à plus
long terme) pour protéger d'autres victimes potentielles.
Je voudrais exposer quelques arguments contre ces deux
points de vue : car l’un deux maintient le fait de faire des enquêtes
internes et de trouver des preuves contre les accusations de violence sexuelles
prononcées à l’encontre de membres d’organisations révolutionnaires ;
tandis que l’autre favorise l’enquête et la mise en accusation basés sur la
nécessité de protéger les futures victimes, au lieu de se concentrer sur les droits
de la victime actuelle.
Premièrement, il existe des preuves qui montrent que la
tentative de résoudre le problème en interne, comme l’indique le premier point
de vue, a pour résultat de couvrir les faits et de diaboliser les plaignantes.
Les enquêtes internes ne peuvent jamais être « non-biaisées », en
particulier lorsque les accusés sont des personnes connues, et elles sont donc
incapables de rendre justice que ce soit à l’accusé ou à l’accusateur.
Deuxièmement, ces arguments maintiennent un statu quo dans
lequel les femmes doivent endurer le sexisme, le harcèlement et le viol pour le
bien de la cause révolutionnaire, de même qu’elles encaisseront les regards des
autres qui la feront sentir honteuse et pareille à une trainée, ou qui
l’accuseront de se « victimiser », si elle ose s’en plaindre. Le fait
de protéger la réputation de l’organisation ou d’en suivre les principes
idéologiques est implicitement suggéré comme étant plus important que d’éliminer
les violences sexuelles dans ces mouvements. Ces arguments participent au
maintien de ce statu quo qui permet aux prédateurs sexuels de cibler leurs victimes
avec une quasi-immunité. Comme dans la société en général, les violeurs peuvent
supposer, en toute confiance, qu’on ne croira pas les victimes et que celles-ci
seront encouragés à garder le silence pour le bien supérieur du groupe.
Il est important d’admettre que les agressions sexuelles
doivent être dénoncées, et que ce n’est pas un acte contre-révolutionnaire. Nous
devons reconnaître que les systèmes de justice pénale actuels sont imparfaits,
mais qu'ils restent le seul recours que nous avons pour enquêter de manière
adéquate et permettre de punir les prédateurs sexuels dans notre mouvement.
Quoi qu’il en soit, je trouve aussi inquiétante cette idée
du « devoir moral » de protéger les futures victimes potentielles.
Tout d’abord, cette affirmation n’est pas très différente de l’attitude « c’est
soit la police ou soit prétendre que rien ne s’est passé ». Donner une
telle emphase à l’obligation morale de dénoncer les viols à la police, implique
facilement la fait que les « véritables » victimes de viol
dénoncerons toujours leur viol car elles désirent protéger les autres. Cette
déclaration implique donc que celles qui ne dénoncent pas à la police sont
« moins » victimes, ou mentent, parce qu’une « véritable »
victime l’aurait déjà dénoncé…
Deuxièmement, ces déclarations sur le « devoir moral »
peuvent créer un environnement qui met la pression sur les victimes afin de
dénoncer au plus vite les faits. Ce type d’environnement ne contribue pas à
soutenir les victimes, parce que cela les oblige à chercher l’implication de la
police, non pas pour elles-mêmes, mais pour les autres. En fait, il n’y a que
peu d’analyses qui réclament la justice pour les victimes elles-mêmes ;
toute l’emphase est mise sur la protection des futures victimes. Ces
déclarations semblent ignorer la crainte que ressentent de nombreuses victimes à
dénoncer le viol à quiconque, et encore moins à la police. Les victimes
craignent le jugement, les critiques et les questionnements intrusifs. Elles
ont également la crainte de l’intimidation des témoins qui découle souvent des
enquêtes policières. Déclarer qu’elles ont le devoir moral de protéger les
futures victimes potentielles c’est ne pas tenir compte de leur bien-être et de
leur autonomie.
Ce que l’on va dire, à l’intérieur de nos mouvements, à
propos du viol, des victimes de viol et de la violence sexuelle, a beaucoup
d’importance. Nous sommes supposés nous battre contre l’oppression et le
sexisme, et nous sommes supposés nous battre pour la libération des femmes.
Mais, si nous laissons entendre que les camarades qui dénoncent des viols sont
contre-révolutionnaires ; si nous laissons que les victimes soient
regardées comme des trainées ou diabolisées à l’intérieur de nos
organisations ; ou si nous les chargeons du devoir moral de dénoncer les
viols en prétendant que celles qui ne le font pas trahissent, en quelque sorte,
les autre victimes potentielles ; alors nous ne combattons pas le sexisme
et la culture du viol. Nous les entretenons et les renforçons.
Que faut-il changer ? Tout d’abord, la gauche doit
combattre cette culture de la méfiance envers les accusations de viol qui est
présente dans notre société, dans nos organisations et dans nos mouvements.
Nous ne devons pas reproduire les mythes sur les fausses accusations de viol,
juste parce que cette fois ça concerne un camarade. Deuxièmement, nous devons
créer une culture du soutien pour les victimes, dans le respect de leurs besoins et de ce qui est bon pour elles.
Nous ne devons pas mettre la pression sur les victimes ou critiquer celles qui
ne voudront pas impliquer la police.
Nous devons aussi changer la façon dont nos organisations
répondent aux accusations d’abus sexuels. Premièrement, nos organisations
doivent s’assurer qu’elles interagissent avec les victimes dans un mode de
soutien. Deuxièmement, la victime devrait être mise en contact avec des groupes
de soutien locaux ou des centres de crise, en plus du soutien en interne. Autre
chose importante, elles doivent être rassurées sur le fait qu’elles auront le
soutien de l’organisation si elles engagent une procédure légale. Elles
doivent recevoir l’assurance que la direction de l’organisation ne tolèrera pas
qu’on les traite de trainées ou qu’on les accuse de se victimiser.
Nos organisations doivent être préparées à impliquer la
police lorsqu’on leur rapporte des accusations. Ce n’est pas
contre-révolutionnaire. C’est une tentative pour s’assurer que les accusations
seront traitées sans être biaisées ou perverties par une enquête interne.
C’est une tentative pour s’assurer que la justice et la
punition adéquate seront décidées ; l’exclusion d’une organisation, ou le
fait d’être mis à l’écart, ne sont pas des réponses adéquates à des cas de
violence sexuelle. Cependant, l’implication de la police ne pourra avoir lieu
qu’avec l’accord complet de la plaignante. Nos organisations doivent essayer de
protéger les victimes du choix de ne pas impliquer la police, mais elles ne
doivent pas mettre la pression sur les victimes pour que celles-ci impliquent
la police contre leur volonté.
Il faut créer une culture de soutien aux victimes, au sein
de laquelle l’apologie du viol et l’accusation des victimes ne seront pas
tolérés, afin que les victimes sachent qu’elles ne seront pas diabolisées. On
peut espérer qu’une telle culture les encouragera à engager des actions
légales. Celles qui ne voudront pas impliquer la police ne devront pas être
critiquées ou mises sous pression. Cela doit rester leur choix personnel.
La où l’implication de la police n’est pas désirée, cela
reste approprié de mettre en place une action interne. Le groupe Socialist
Resistance a suggéré plusieurs procédures qui devraient permettre de combattre
les problèmes habituels des investigations en interne. Il faut plus de
considération pour les personnes, et il serait approprié que les organisations
fassent appel à l’avis de professionnelles venant des groupes d’aide aux
victimes de viols et des centres de crise. Nous n’avons pas encore de
« justice révolutionnaire » et il est arrogant de prétendre que nos
organisations sont capables de traiter de manière adéquate d’accusations d’une
nature aussi sérieuse. Il faudra qu’il y ait un grand progrès culturel dans nos
organisations avant que cela puisse se faire.
Ecraser le patriarcat est vital dans notre combat pour
écraser le capitalisme. Nous devons nommer et dénoncer ceux qui, honteusement,
diabolisent et intimident les femmes qui portent des accusations. Ceux-là, et
leurs attitudes sexistes, ne doivent pas être les bienvenus dans nos
organisations. Il ne doit pas y avoir de place à gauche pour les
prédateurs sexuels ou pour ceux qui défendent les responsables des viols, que
ce soient des membres des groupes ou des personnes reconnues.
Chaque changement doit être significatif et inclusif. Il
n’est pas suffisant de combattre le sexisme dans nos mouvements ; nous
devons également mettre fin à la marginalisation des autochtones, des noirs, des
étrangers, des Trans, bi, gay, lesbiennes, des handicapées et d'autres
militants de groupes opprimés. Il est temps pour nous de faire mieux que ça.
traduction pour http://sexismesagauche.blogspot.be : Rebelderosa2012
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