Un nouveau machisme-léninisme ?
Nous reproduisons ci-dessous un texte réalisé par une militante
féministe espagnole et qui rappelle toute l’importance d’une perspective
anti-patriarcale pour les processus d’émancipation et dans les organisations
qui s’en réclament.
On constate depuis quelques
années une nouvelle tendance parmi certain-e-s camarades de la gauche
anticapitaliste. On pourrait qualifier cette tendance de « nouveau
machisme-léninisme » car il constitue une réaction régressive face aux
avancées et améliorations de la position des femmes dans la société.
Le machisme au sein des
organisations anticapitalistes n’est absolument pas une chose nouvelle.
Rappelons, par exemple, les polémiques entre Lénine et Clara Zetkin ou avec
Alexandra Kollontaï (1). Le nouveau machisme au sein de la gauche radicale est
la réaction de certain-e-s militant-e-s révolutionnaires face aux changements
qui s’opèrent dans les rapports de genre, dans la structure familiale et,
particulièrement, face à l’institutionnalisation d’un certain féminisme
libéral. Il s’agit d’une attitude
idéologique qui provient directement des tripes : de la perte effective de
privilèges masculins et des nouvelles exigences posées par leurs camarades
femmes, dans le parti ou dans la vie.
Le machisme-léninisme se
caractérise par l’acceptation abstraite du féminisme, il accepte le
« travail femme » réalisé par des femmes et tolère ses camarades
féministes comme un « moindre mal ». Par contre, ces militant-e-s ne
s’engagent pas trop dans les activités liées à la question du genre. Ce dernier
est à leurs yeux le domaine exclusif des femmes. De la même manière, et en
dépit d’une formation marxiste « pointue », ces militant-e-s ne
prendront jamais la peine de lire une seule page de littérature féministe
marxiste (Alexandra Kollontai, Heidi Hartmann, Maria Rossa dalla Costa, Sheila
Rowbotham, Giulia Adinolfi, Batya Weinbaum, Angela Davis et un long
« etc. »).
Le nouveau machisme-léninisme se
base sur des sources d’information variées ; depuis « L’origine de la
famille, de la propriété privée et de l’Etat » (Engels), « La Femme et le
Socialisme » (Bebel) et jusqu’aux articles misogynes de la presse
réactionnaire de type « LibertadDigital ».
Le machisme-léninisme n’est pas
« politiquement correct » ; il ne se manifeste pas au travers
d’écrits publics. La question de l’égalité des genres ne mérite d’ailleurs pas
un tel effort à ses yeux. De là découle qu’il s’agit d’un corpus de croyances
essentiellement orales et pratiques.
Face au machisme-léninisme, nous
devons revendiquer la convergence positive entre le féminisme et le marxisme,
entre le féminisme et l’anticapitalisme. Notre propre tradition historique nous
offre des références positives de luttes pour l’émancipation des femmes et de
la classe ouvrière. Sans aller plus loin, Marx et Engels - avec toutes leurs
limites – furent des pionniers dans la dénonciation de la subordination des
femmes articulée par le capitalisme.
Nous allons dresser ici un
inventaire critique de l’argumentaire du nouveau machisme-léninisme. Il
convient de souligner que notre intention n’est pas de qualifier tous les
militant-e-s révolutionnaires de « machistes », bien au contraire.
Notre propre expérience nous a démontrée la possibilité de converger et de
partager des complicités avec la majorité des camarades. En conséquence, nous
sommes convaincues, au contraire d’un certain secteur du féminisme post-68, que
la présence de féministes dans les organisations mixtes est tout autant
possible que nécessaire. C’est précisément les tares du machisme qui rendent
cette unité difficile.
Passons maintenant à la critique
de ces arguments…
Argument nº 1: « Les femmes ont déjà obtenues l’égalité formelle
et réelle, le patriarcat n’existe plus ».
Parmi les motivations du nouveau
machisme de gauche, l’idée la plus faible est sans doute celle selon laquelle
« les femmes ont déjà obtenues l’égalité parce que le modèle de
femme-épouse-ménagère est sans cesse plus résiduelle ». Le nouveau
machisme accepte en théorie l’émancipation des femmes, leur sortie de l’espace
privé, mais il a quelques problèmes lorsqu’il s’agit d’en assumer les
conséquences. Les données qui démontrent que l’argument selon lequel les femmes
ont déjà acquises l’égalité sont nombreuses. En voici quelques unes :
- L’écart salarial entre les hommes et les femmes dépasse 21% en 2010 (il varie en fonction du type de contrat, de durée du travail, de l’activité productive, etc.) (2)
- Au cours de ces 10 dernières années, le chômage féminin a atteint 11% face à 6% pour les hommes. (Enquête sur le Population Active, EPA).
- Le taux d’activité des femmes était de 52,6% en 2010, et pour les hommes de 67, 7%. (un chiffre qui masque bien entendu le travail domestique).
- 8,2% des foyers dont le « chef » de ménage est une femme souffrent de la pauvreté face à 1,7% des foyers dont le « chef » de ménage est un homme (2001).
- 95,6% des personnes inactives qui ne cherchent pas un emploi pour cause de raisons familiales sont des femmes (2010, EPA).
- 88,4% des personnes qui souffrent de violence domestique sont des femmes (chiffre de 2005, Institut de la Femme).
- En 2010, 73 femmes ont été tuées par leur (ex) mari ou (ex) compagnon, contre 7 hommes assassinés (Chiffre de l’Observatoire contre la Violence Domestique et de Genre).
Ces données sont suffisamment
claires et balayent l’affirmation selon laquelle les femmes auraient obtenues
l’égalité réelle par rapport aux hommes, ce qui d’autant moins vrai parmi les
femmes des classes populaires. En conséquence, il est aujourd’hui plus que
jamais nécessaire que le mouvement ouvrier intègre la question des femmes
travailleuse dans ses luttes spécifiques.
Argument n°2 : « Le féminisme divise la classe ouvrière.
C’est une idéologie bourgeoise ».
Concernant ce second argument du
machisme-léninisme, il y a deux questions importantes à préciser. Comme nous le
savons tous-tes, l’origine du féminisme est le mouvement des
« suffragettes » et la revendication des droits civils pour les
femmes (Mary Wollstonecraft). L’origine du féminisme est donc, effectivement,
« bourgeois ».
On pourrait d’ailleurs dire la
même chose du socialisme précoce (Saint Simon, Fourier, Proudhon… étaient
également d’origine sociale bourgeoise ou petite-bourgeoise). Cependant,
l’extraction sociale des précurseurs d’un mouvement ne détermine pas
inexorablement sa nature de classe future. Ce qui vaut pour le socialisme, vaut
pour le féminisme. En outre, de même qu’il existe un socialisme ouvrier au XIXe
siècle, il existe également un féminisme populaire à cette époque,
habituellement passé sous silence. Un exemple typique est celui de Flora Tristan
(1803-1844) qui a revendiqué les droits des femmes travailleuses. On peut
parler d’un féminisme populaire et socialiste de manière très précoce, même
s’il reste encore beaucoup de travail à réaliser du point de vue de
l’historiographie afin de mettre en lumière la participation spécifique des
femmes dans la formation du mouvement ouvrier. En passant sous silence ou en
méconnaissant le féminisme populaire et ouvrier, on fini par faire le jeu des
courants libéraux dont on prétend vouloir se démarquer.
Partant de l’identification du
féminisme avec le libéralisme et la bourgeoisie, le militant machiste-léniniste
considère que les luttes des femmes (en tant que genre) divisent la classe
ouvrière. Les données exposées plus haut rendent évidente la réalité
crue : la classe ouvrière est déjà divisée et c’est le capitalisme qui la
divise car il renforce et reproduit l’inégalité entre les genres en fonction de
ses intérêts. Ainsi, l’objectif du mouvement ouvrier doit être ; a) de
surmonter ses propres préjugés machistes et b) d’être capable d’articuler les
luttes d’émancipation car les femmes constituent la moitié des
travailleurs.
En somme, la tâche du mouvement
ouvrier devrait être d’articuler les luttes et de combler les divisions et les
fractures que le capitalisme dresse entre nous. Ce ne sont pas les femmes
travailleuses, avec leurs revendications, qui créent ces fractures, elles les
affrontent au contraire et les articulent dans une dynamique d’unité. Il est
donc erroné – d’un point de vue tactique et stratégique – d’envisager que le
féminisme est essentiellement bourgeois et que les luttes spécifiques des
femmes divisent la classe travailleuse. C’est le capitalisme qui divise et qui
tire profit de cette fragmentation.
Argument nº 3: « Les luttes spécifiques des femmes excluent les
hommes »
Cette affirmation découle, à
nouveau, d’une vision réductionniste du féminisme. Il existe des secteurs du
féminisme (le courant « radical » ou « différencialiste »)
qui revendiquent positivement les valeurs de la féminité et qui conçoivent leur
lutte comme une lutte contre le masculin (indépendamment de sa classe, ethnie,
nation, etc.). Mais il ne s’agit que de fractions du féminisme et non de sa
totalité. En aucun cas, le courant socialiste ne conçoit sa stratégie
« contre les hommes ». Notre objectif est d’obtenir l’égalité réelle
entre les sexes, d’en finir avec les inégalités et les oppressions qui
découlent d’une société patriarcale et de la structure des genres. Comme le
disait Kollontaï : il s’agit de parvenir à l’autodétermination réelle de
tous et de toutes.
En conséquence, non seulement les
hommes n’en sont pas « exclus », mais ils font partie intégrante de
notre stratégie de transformation. De fait, eux aussi bénéficieront dans un
certain sens de la fin de la société patriarcale. Le corset du genre ne les
opprime-t-il donc pas ? Les hommes n’ont-ils donc pas le droit de
s’épanouir dans des sphères comme la paternité, l’émotivité et les soins aux
personnes ? Pour les féministes socialistes, il s’agit d’une lutte
partagée, bien que l’initiative et la direction en incombe aux femmes, qui sont
celles qui souffrent de l’oppression d’une manière incomparable du fait de la
distribution inégale des charges dans la reproduction de la vie.
De la même manière que dans la
lutte des travailleurs-euses migrant(e)s, tous les travailleurs doivent être
impliqués, tout on ne déniant pas aux premiers l’initiative parce qu’ils sont ceux
qui connaissent le mieux leur situation ; les espaces non mixtes pour les
femmes sont nécessaires afin d’élaborer des stratégies à partir de leur propre
expérience, ce qui n’empêche nullement que nous ayons là aussi besoin de
l’engagement du reste des travailleurs-euses.
Il correspond aux camarades
hommes de réclamer leur participation active dans cette lutte et cela
n’arrivera que lorsqu’ils atteindront un niveau de conscience et d’engagement
suffisant contre le patriarcat. Tant que ce n’est pas le cas, les
machistes-léninistes se limitent à s’auto-exclure et à « laisser les
choses des femmes aux mains des seules femmes ». Les bons marxistes
s’ajoutent à notre cause parce qu’ils comprennent que l’émancipation par
rapport au système-genre bénéficiera à la classe dans son ensemble.
Argument nº 4: « Dans nos organisations, on ne discrimine pas les
femmes. Nous ne reproduisons pas les dynamiques patriarcales ».
Croire en la pureté et en la
neutralité de sa propre organisation est un signe d’idéalisme. Nos
organisations mixtes, comme toutes les institutions de la société, sont
traversées par la lutte des classes et aussi par les modèles dominants de
rapports patriarcaux. Les femmes et les hommes qui rejoignent ces organisations
le font avec un bagage de socialisation qui repose sur l’intériorisation de
valeurs et de rapports de pouvoir qui agissent à un niveau très inconscient.
Cela n’arrive pas fréquemment que
nos camarades hommes nous traitent comme de simples objets sexuels ou nous font
dégringoler dans un rôle de subordonnées (bien que certains hommes fassent
effectivement cela). Cependant, les structures de nos organisations peuvent
reproduire les inégalités de genre préexistantes si nous ne faisons rien pour
l’éviter. Dans ce cas ci, ne rien faire importe. Et beaucoup.
Etre conscients de cette réalité
signifie de prendre des mesures pour la changer. C’est pour cela que l’action
positive, les politiques de quotas, le renforcement de la participation des
femmes ou les activités, campagnes et formations sur les thématiques de la
lutte contre le patriarcat sont fondamentales. Je partage avec beaucoup de
camarades une insatisfaction vis-à-vis du système des quotas et des
« listes crémaillères ». Mais cela ne peut pas conduire à ne rien
faire, au « laissez-faire ». Les systèmes « méritocratiques »,
prétendument neutres et aveugles par rapport aux distinctions de classe ou de
genre, ne font en réalité rien d’autre que reproduire l’inégalité
préexistante. Depuis quand, d’ailleurs, sommes-nous partisans du
« laissez-faire » ? Faisons-nous confiance à la « main
invisible » ou au marché pour diluer les inégalités sociales ?
Après deux siècles de capitalisme, cela ne s’est encore jamais produit.
Ne rien faire par rapport à un
problème ne signifie pas qu’on y fait face mais bien qu’on le laisse de côté.
C’est pour cela que la lutte contre le patriarcat ne peut pas rester dans le
domaine du discours et doit imprégner également nos pratiques. A défaut
d’instruments plus parfaits contre les divisions de classe et de genre (y
compris au sein de nos propres organisations), nous devons nécessairement
utiliser les quelques instruments dont nous disposons : l’action positive,
l’ouverture d’espaces sectoriels de lutte contre le patriarcat, la promotion
active de la participation des femmes. Les instruments d’action positive
interne ont un certain nombre d’avantages ;
- Ils aident à valoriser le travail des camarades femmes
- Ils créent des référents féminins
- Ils démentent les stéréotypes comme « les quotas augmentent les charges pour des personnes moins qualifiées »
- Ils améliorent et rendent plus efficaces les processus d’élection et/ou de sélection des charges et des responsabilités
- Les femmes augmentent leur confiance et formation vis-à-vis de l’accomplissement de fonctions
Nous devons passer du discours à
la pratique. En définitive, les organisations doivent prendre en compte et
affronter une tare historique qui a également des conséquences formelles et
inconscientes dans les espaces de lutte.
Argument nº 5: « Les hommes sont persécutés, on a supprimé notre
présomption d’innocence. Les hommes souffrent de la violence de genre autant
que les femmes ».
Bien souvent, les conversations
sur les rapports entre le féminisme et le marxisme conduisent à des questions
d’actualité comme la violence de genre, le divorce, la tutelle parentale ou
l’avortement. Le machiste-léniniste met souvent sur la table une série
d’arguments et de données qui semblent provenir tout droit de « Intereconomia »
ou de « Libertad Digital ». Ces données sont censées démontrer
comment la tendance historique se serait inversée à cause du féminisme
institutionnel : aujourd’hui, ce sont les hommes qui sont opprimés par les
femmes. Ce sont eux qui sont, aujourd’hui, les victimes du matriarcat. Dans ce
même acabit, il n’est pas rare d’entendre des choses comme « aujourd’hui
les hommes sont persécutés » ; « on ne respecte pas notre
présomption d’innocence » ; ou encore « les hommes souffrent
encore plus de la violence de genre ».
La législation récemment
introduite par le gouvernement de Zapatero (« LO 1/2004 : Mesures de Protection
Intégrale contre la Violence de Genre ») a ouvert le débat sur l’affaiblissement
de la présomption d’innocence et des fausses plaintes dans les cas de violence
machiste. Il suffit d’une brève recherche avec Google pour trouver des
centaines d’entrées sur la question des fausses plaintes prétendument utilisées
par les femmes. Il est possible que de tels cas individuels surviennent, mais
les données démontrent que le nombre de fausses dénonciations pour faits de
violence de genre n’est pas supérieur à celles que l’on peut trouver pour
d’autres délits. Ainsi, en 2010, on a calculé que seulement 0,01% des plaintes
pour violence de genre étaient fausses (données du Ministère de la Justice,
2010). Ce débat ne mérite donc pas qu’on s’y attarde : le nombre des
fausses plaintes est minime.
En outre, on argumente souvent
que les procès de cas de violence de genre entraînent une inversion de la
charge de la preuve au détriment du maltraiteur (3) et qu’on vulnérabilise la
présomption d’innocence. Ces accusations sont inexactes à la lecture de la Loi
Intégrale sur la Violence de Genre elle-même (4). Si nous lisons cette loi –
chose qu’on ne fait pas souvent – on constate que dans la procédure judiciaire
le traitement des preuves suit la même voie que dans tout autre procès au
pénal. Les seules spécificités sont les mesures judiciaires de protection et de
sécurité de la victime (éloignement, suspension de la tutelle paternelle, etc.)
et le durcissement des peines pour agression. Concrètement : on active une
procédure judiciaire rapide et le juge de garde adopte des mesures de
précaution pour le risque qu’assume la victime de mauvais traitements. Ces
mesures de précaution, préalables au jugement, sont justifiées par la possibilité
d’une réédition de la violence. Il suffit de rappeler le cas d’Ana Orantes (5)
qui fut brûlée vive par son mari après s’être plainte auprès de la justice et
dans les médias. De là découle la nécessité d’adopter des mesures de précaution
efficaces. Il peut se produire des excès, comme dans tout procès au pénal, mais
on ne peut pas conclure qu’il existe une vulnération de la présomption
d’innocence ou un type de persécution.
Une autre question, intéressante
celle-là, serait d’évaluer dans quelle mesure une loi comme celle-ci contribue
à en finir avec la violence de genre. La loi s’attaque effectivement à une
situation désespérée et critique : le féminicide et la violence machiste
dans les relations de couple. Cependant, à partir du féminisme socialiste, nous
comprenons que c’est insuffisant, qu’il faut aller à la racine des choses.
Tant que les femmes subiront des
situations de vulnérabilité, d’inégalité et de dépendance, la violence dont
nous souffrons sera un fait quotidien. C’est ce que Zizek appelle la violence
subjective et la violence objective. La première est celle qui dépasse le
niveau de normalité, le niveau 0 de violence ; par exemple l’assassinat d’une
femme par son ex-compagnon. La violence objective est celle qu’exerce
quotidiennement le système : c’est la surexploitation, la double journée
de travail, la réduction à un simple objet sexuel, la domination psychologique,
etc. Tant que nous ne supprimerons pas cette violence subjective ou
structurelle dont souffrent les femmes jour après jour, les mauvais traitements
continueront d’être la pointe de l’iceberg car ils sont la conséquence
d’une domination préalable, prolongée et cumulative.
Il est urgent, dans ce cadre, que
le féminisme socialiste fasse une dure critique du féminisme institutionnel. Le
nombre annuel de femmes assassinées par leurs maris n’est rien d’autre que le
symptôme d’une oppression beaucoup plus silencieuse et profonde : un
système de domination intimement lié au mode de production et de reproduction.
Cependant, l’insuffisance du féminisme institutionnel (encore plus dans le
contexte de la globalisation capitaliste qui réduit la capacité d’intervention
des pouvoirs publics) n’entraîne pas le rejet des réformes positives. La Loi
sur la Violence de Genre est insuffisante mais elle n’est pas mauvaise en soi.
De la même manière, sur le terrain du travail, nous revendiquons les 35 heures
même si cela nous semble insuffisant pour en finir avec l’exploitation. Les
marxistes doivent appliquer cette même dialectique de la réforme et de la révolution,
du programme minimum et maximum, lorsqu’il s’agit d’affronter la question de la
lutte contre le patriarcat.
En guise de conclusion : pour une approche marxiste du système
sexe-genre
Bien entendu, les rapports entre
le marxisme et le féminisme, tant dans la théorie que dans la pratique, ont
souvent été des rapports conflictuels. Comme le disait déjà Heidi Hartmann, il
s’agit d’un mariage malheureux. Le marxisme est une méthodologie pour
comprendre et transformer la société capitaliste. En conséquence, aborder la
question du patriarcat et des rapports de sexe-genre est une nécessité
incontournable pour toute politique émancipatrice.
Quand le capitalisme industriel a
émergé, il s’est trouvé avec un système de sexe-genre qui subordonnait les
femmes comme une simple propriété du père de famille. Cette structure de
rapports préexistants est entrée en friction avec le capitalisme, elle fut
remodelée par lui et est aujourd’hui complètement subsumée par la logique du
capital. Ce dernier utilise la domination de genre pour surexploiter,
diviser, se reproduire et alimenter son contrôle idéologique. Le
patriarcat, ou le système de domination du sexe-genre masculin sur le féminin
est une structure de rapports matériels, économiques et idéologiques ; des
rapports qui sont toujours en vigueur – même s’ils sont soumis à la critique –
dans les pays impérialistes. Les données déjà citées en témoignent.
Ce que nous appelons le nouveau
machisme-léninisme est une attitude réactionnaire et idéaliste qui nie cette
réalité. Avec le prétexte que le féminisme serait une idéologie bourgeoise, il
ignore le système de domination de genre qu’à articulé – et que continue à
articuler – le capitalisme. Il ignore les processus plus fondamentaux de
production et de reproduction de la vie et leur insertion dans la logique du
capital. Il ignore et fait obstacle à l’émancipation des femmes travailleuses.
Ce n’est seulement qu’en prenant au sérieux l’articulation de classe et de
genre que nous pourrons offrir une issue sensée et émancipatrice à l’autre
moitié des travailleurs. Ne permettons pas, cette fois encore, que le
capitalisme nous divise.
Source :
Notes :
(1) En 1920, Clara Zetkin a
rencontré Lénine et l’a informée des de l’organisation des prostituées et des
activités de formation en éducation sexuelle et matrimoniale avec les ouvrières
allemandes. Au cours de l’entrevue, Lénine a qualifié sans détours de « déviation
malsaine » le travail mené avec les prostituées et a traité avec mépris le travail d’éducation
sexuelle et familiale avec les ouvrières. Ces activités, selon lui, étaient une
perte de temps. Voir dans WEINBAUM, B.: « El curioso noviazgo entre
feminismo y socialismo », S. XXI, Madrid, 1984.
(2) Enquête de Structure
Salariale, juin 2010, Institut National de Statistiques.
(3) Et nous disons
« maltraiteur » au masculin, parce que l’immense majorité des
agresseurs dans le cadre intrafamilial, dans les couples ou dans les
ex-couples, est constituée par des hommes. Bien que les estimations soient très
controversées (voir, par exemple, Raquel Osborne, « De la violencia de
género a las cifras de la violencia: una cuestión política »), il est évident
que les femmes souffrent majoritairement des mauvais traitements dans le couple
ou l’ex-couple, de là le fait que 73 femmes ont été assassinées par leur
compagnon ou ex-compagnon (2010) face à 7 hommes.
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