vendredi 29 mars 2013

La complicité et la culture de l'impunité pour les agressions sexuelles


Complices de la violence sexuelle: ne pas les laisser s'en tirer
 Rebecca Johnson
Jimmy Savile, Cyril Smith, Dominique Strauss-Kahn, les événements récents au SWP : quatre cas dans lesquels des personnages socialement puissants bénéficient d’une culture de la complicité perpétrée par ceux qui les entourent.
Combien de personnes se seraient doutées du fait que Jimmy Savile et Cyril Smith étaient des prédateurs sexuels et des habitués de l’abus ? Les récents rapports de la police et d’autres comptes rendus montrent que les activités de ces hommes étaient « communément connues » dans certains cercles. Alors qu'est-ce qui a maintenu des décennies d'inaction pendant lesquelles ces agresseurs ont pu continuer à perpétrer leurs actes avec impunité?
Le Commandant de police Métropolitaine Peter Spindler a déclaré que Savil avait « embobiner la nation ». Interpellé pour expliquer comment autant de personnes avaient pu être aveuglées, l’idée de Saville « embobinant la nation » doit être manipulée avec précaution. Cette phrase implique que le pays tout entier aurait été victime des techniques de manipulation de l’animateur, ce qui laisse s’en tirer à bon compte ceux qui savaient, ou ont vu et n’ont rien fait, c'est-à-dire les complices.
Comme l’explique la police sur le cas de Savile, le pouvoir et les statuts sont des outils très utiles pour les prédateurs sexuels. Ils savent bien sur que la plupart des victimes seront trop effrayées, confuses ou honteuses pour parler. C’est une réaction habituelle dans les cas de violences sexuelles : agressées à un niveau aussi intime et profond, les survivantes veulent surtout retrouver un certain calme. Certaines essaient de croire que ce qu’on leur a fait est moins grave que l’impression qu’elles en ont ; ou alors elles culpabilisent comme si l’agression était justifiée par une faute de leur part ou par leur naïveté. Les violeurs et les abuseurs bénéficient de la conviction patriarcale qui suppose que les témoignages des femmes et des enfants doivent être considérés comme suspects, et beaucoup de victimes ont peur des conséquences si les choses sont rendues publiques, ce qui renforce leur tendance à ne rien dire. Les prédateurs les plus malins et manipulateurs choisissent délibérément comme cibles des personnes qui auront moins de crédibilité, comme des enfants qui ont des problèmes, des jeunes attirés par la célébrité, et des personnes en position d’apprentissage et de demande dans les organisations où les prédateurs possèdent un statut et une autorité.
Ceci explique pourquoi de nombreuses victimes se taisent, mais une question centrale qui semble ressortir dans une grande partie  des essais et raisonnement et la raison pour laquelle tant d'autres qui «soupçonnaient» ou «savaient» qu’il existait ces modèles de comportements abusifs n'ont pas réussi à prendre des mesures. Combien de collègues étaient au courant de comportements prédateurs, inappropriés et illégaux, mais ont choisi de regarder autre part ? Qu’est ce qui est réellement passé par la tête de ceux qui savaient ou avaient entendu parler des abus et n’ont rien fait, ou pire, ont éliminé des preuves et imposé le silence aux victimes ? Combien d’entre eux avaient de postes d’autorité ou étaient en contacts professionnels et personnels avec les auteurs d’abus, et leurs ont permis d’avoir accès, via des lieux de travail et des organismes, à des filles et des garçons vulnérables ?
Quand on pense à la certitude que des prédateurs comme Smith et Savile pouvaient avoir sur le fait qu’on ne leur demanderait pas de comptes et qu’ils ne pourraient pas être punis, nous devons nous pencher sur les attitudes des autres personnes qui avaient de l’influence et de l’autorité dans ces cas. Les différents rapports détaillent comment des enquêteurs ont joué le jeu des agresseurs en piégeant, plutôt qu’en soutenant, les victimes et les dénonciateurs. Des modèles de comportements abusifs ont été ignorés ou négligés, relégués à l’état d’allégations considérées comme isolées ou à des événements ponctuels. Une des accusatrices de Savile a été réduite au silence par les avocats qui lui ont dit qu’ils en feraient de la « chair à pâté ». Les plus vulnérables – les enfants dans les institutions, souvent cibles de Savile – ont même été punis pour « avoir menti ».  Une culture aussi systémique de la complicité a facilité des décennies d’abus en séries. Malgré les rumeurs et les interrogations persistantes sur plusieurs années, combien de personnes qui auraient du sonner l’alarme ont par contre offert à Saville et Smith la protection, le statut, l’entourage et encore d’autres bénéfices ? Ce piège de la célébrité et du pouvoir permet aux abuseurs d’éviter la mise en examen et de gagner un accès et un pouvoir plus important qui leur permet d’abuser plus facilement.
Il peut y avoir de nombreuses raisons pour lesquelles les gens choisissent de se rendre  complices plutôt que de dénoncer et d’exposer au regard de tous les comportements inappropriés et blessants auxquels ils assistent et dont ils entendent parler. Certains ont sans doutes eu peur des conséquences de s’en prendre à un gros bateau, pendant que d’autres étaient trop occupés à jouir de l’attention, des flatteries, de l’amitié et des autres bénéfices personnels que leur apportait la proximité directe ou indirecte d’un homme important. Plusieurs décennies après que les féministes aient commencé à combattre les harcèlements « promotion canapé » exercés par les producteurs et les professeurs (souvent des hommes) qui considèrent comme un de leurs avantages "d'avoir" l'embarras du choix entre les étudiants et les acteurs en herbe (souvent des femmes), la dynamique de pouvoir, genre et vulnérabilité sont encore manipulées par les prédateurs sexuels, aidés et soutenus par les complices qui maintiennent une culture de l’impunité permettant à une séries d’abuseurs de se sentir confiant dans leur pouvoir d’échapper à la punition. Certains complices de Savile semblent considérer son crime comme normal pour les « swinging sixties », un peu de fun, ou même l’admirent pour s’en être sorti.
Et, à propos des autres qui étaient au courant du « côté obscur » de Savile et des prédilections de Smith, mais ont choisi de fermer les yeux ? Certains ont fait encore pire en leur octroyant le soutien public, le confort et les postes qui leur ont permis d’avoir encore plus facilement accès à leurs malheureuses proies. Est-ce que ces complices étaient eux-mêmes des victimes, séduis par le charme et la célébrité de ces figures, comme ce serait le cas selon la théorie de la prise de pouvoir de ces personnes sur d’autres. Ont-elles été amenées à se taire parce que « Jimmy » ramenait tellement d’argent pour les œuvres de charités et que « Cyril » était quelqu’un de tellement respecté. Ont-ils été des complices actifs, ou était-ce seulement une bande de lâches qui ne voulaient pas avoir d’ennui et qui ont peut-être ressenti comme prioritaire de conserver leur propre emploi, institution ou cause ?
On sait que des équipes ont essayé de protéger les personnes qui étaient accusées. Ils en savaient suffisamment pour s’en mêler. Ils savaient certainement que le fait d’abuser des enfants n’est pas seulement répugnant mais aussi illégal… alors comment se fait-il qu’ils n’aient pas fait en sorte que ceux qui perpétraient ces actions soient arrêtés et trainés devant la justice ? Certains ont apparemment tenté de les dénoncer, mais pourquoi ont-ils abandonné ? Saville et Smith ne  pouvaient pas s’assurer ce silence par leur seule intervention. Il semble qu’au moins quelques uns de ceux qui ont essayé de dénoncé les choses ont été tourné en ridicule, menacés ou attaqués par des complices qui jouissaient de positions influentes. Si c’est le cas, les responsables de ces intimidations ont confirmé leur complicité. À travers eux, la culture d’impunité et de collusion était perpétuée à tous les niveaux.
Certaines personnes qui avaient des postes d’autorité ont justifié leur inaction en déclarant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour être sur. Pourtant, dans ces cas, il semble y avoir eu plus que suffisamment de preuves pour justifier qu'il agit de précaution supplémentaire prévenir les dommages aux victimes potentielles. Pourtant, dans ces cas, il semble qu’il y ai eu plus que suffisamment de preuves pour agir avec une précaution supplémentaire et prévenir les dommages aux victimes potentielles. Même si Smith et Savile ont nié la faute ou tenté de renverser les rôles en accusant leurs accusateurs (tactique familière qui use et abuse du fracas et de l'indignation), il est maintenant évident que si les autorités avaient choisi d’enquêter plus sérieusement, il y avait des tas d’étapes au cours desquelles ont aurait pu couper Smith et Savile de leur position de pouvoir, leurs « entrées » et l’influence qui leur donnait une totale impunité. Le fait de marginaliser les prédateurs et de leur refuser les accès aurait pu encourager d'autres victimes à se manifester, fournissant ainsi suffisamment de preuves claires pour qu’il puisse y avoir une condamnation.
Le scandale de l'année dernière qui impliquait le politicien français Dominique Strauss-Kahn illustre d'autres aspects de la collusion des amis et des collègues des agresseurs qui ont un certain niveau de pouvoir. Lorsque l’arrestation de Strauss-Kahn pour le viol d’une femme de ménage d’un Hôtel à New-York fut rendue publique, on a commencé à savoir qu’il était connu dans certains « cercles » français comme un prédateur sexuel. Je tiens à préciser que je ne suis pas en train de dire que Strauss-Kahn était coupable de viol à New-York, puisque l’affaire n’a jamais été tranchée par un tribunal. Faisant écho aux raisons données par la police pour ne pas poursuivre les accusations portées contre Savile et Smith, les procureurs de New York ont finalement abandonné le dossier contre M. Strauss-Kahn au motif que la femme de chambre, une immigrante récemment débarquée de la Guinée, ne saurait être un témoin crédible. Cependant, pour que des histoires au sujet des obsessions libertines de Strauss-Kahn et d’autres présomptions d’agressions et de "harcèlement" des femmes aient circulé pendant des années en France, il semble y avoir eu un motif. Après son arrestation, certains « secrets de polichinels » sont devenus publics, et la mère de Anne Mansouret, figure historique du Parti socialiste français, a admis qu’elle avait persuadé sa fille de ne pas dénoncer à la police une tentative de viol de DSK quelques années plus tôt, pour ne pas faire de tort au parti.
Selon le Guardian, ses collègues aussi étaient bien au courant des “relations assez pathologiques“ de DSK avec les femmes, ils l’ont observé d’un œil indulgent et l’ont protégé parce qu’il était une star socialiste et un des hommes importants pour le futur.
Il est important de reconnaître que la collusion des institutions patriarcales et des collègues sycophantes permet à certains agresseurs de s'en tirer toute leur vie en continuant à perpétrer des violences sexuelles.  A la manière des pervers furtifs qui exposent leur pénis à la sortie des écoles, Smith, Savill et Strauss-Kahn ont des egos surdimensionnés et savaient mentir et prendre des risques de manière plausible. Comme politiciens et animateurs, ils se sont construits en tant que communicateurs, capables de parler rapidement et bien, très capables de caresser dans le sens du poil et d’exercer de la flatterie et du charme. Suffisamment qualifiée et manipulateurs, ils ont su s’élever dans les rangs, et peuvent très bien avoir gagné une excitation supplémentaire en exerçant ce comportement à risque, faisant autour d’eux le test de jusqu’où ils étaient capables de s’en tirer. On peut supposer que chaque fois qu’ils ont réussi à intimider quelqu’un ou à réduire quelqu’un au silence ou à la complicité, leur succès amplifiait leur propre croyance en leur supériorité et intouchabilité, ce qui nourrissait leur pathologie et les rendait de plus en plus dangereux.
 Dans nos sociétés, obsédées par la célébrité, ces grands égos, très confiant en eux-mêmes, amènent d’autres à leur fournir des accès, du camouflage et de la protection, consciemment ou pas. Les admirateurs de Strauss-Kahn l’appellent ouvertement le « séducteur », un mot qui semble plus désigner quelque chose de sexy que des abus de pouvoirs ; et qui s’éloigne aussi des techniques de manipulation, de coercition et des agressions perpétrés par de tels hommes, qui tirent parti de leur position, de la gloire, de l'excentricité, de leurs compétences publiques et d'autres attributs pour se rendre intouchables. Dans ce genre de cas, ce qui facilite aussi les abus, ce sont leur statut, leur engagement dans des bonnes causes ou dans de bon travail, comme la rechercher de fonds pour des œuvres ou des campagnes politiques.
La classe, l’âge, le pouvoir, ainsi que le genre, sont des facteurs cruciaux dans les calculs de ces agresseurs sexuels qui espèrent se tirer indemnes de leurs crimes. Peut-être qu’il ne faut pas être surpris du fait que de telles personnes seront plus facilement protégées dans des milieux aussi compétitifs et bourrés de testostérones que la politique, le spectacle et la diplomatie. Que cette incroyable collusion n’est pas tant due à leur capacité à flouer une nation, mais plutôt le fait du pouvoir patriarcal et de ses structures, préjugés, et de sa misogynie. Des banques casinos aux animateurs et autres politiciens arrogantes, les systèmes patriarcaux ont toujours récompensé certains comportements dominants et de prise  de risque, que l’ont associe à la construction de la masculinité. Dans son livre de 1979, « reclaim the night », Peggy Seeger a fait le lien entre les violences masculines et le système qui donne des prix à ceux qui exploitent des personnes vulnérables et s’en servent pour grimper.     
Certaines de ces récompenses sont directes et littérales – les prix publics, la chevalerie, les hauts postes – ou indirects et institutionnels - Savile et Smith ont reçu le respect du public et des éloges pour avoir aidé les adolescents vulnérables et ont été nommés à des postes dans les foyers de soins, les hôpitaux, les institutions de réforme et d'autres établissements publics, ce qui leur a permis d’accéder plus facilement aux victimes et facilité leur comportement abusif.
Ces gratifications et ces postes fournissent des outils pour un meilleurs accès à des cibles potentielles. C’est également très utile pour intimider des témoins ou des dénonciateurs en les menaçant de poursuites légales ou en mettant en cause leur poste de travail, par exemple. En plus, ces gratifications et ces causes nobles sont souvent évoquées b-par les complices pour justifier leur propre intervention pour permettre aux abuseurs d’éviter la mise en lumière et la justice. Si certains complices le sont passivement parce qu’ils ont peur, d’autres ont pu croire sincèrement que c’était le bon chois de ne rien dire pour protéger l’organisation qui leur est chère des attaques d’adversaires politiques. Il est aussi important de réaliser que beaucoup de complices bénéficient des avantages et de la proximité que leur octroie le fait de défendre et de faciliter les actions des ces importants égos mâles, célèbres et capables de prendre des risques. Quelque soient les raisons, sacrifier les droits et l’intégrité des plus vulnérables ne peut cependant jamais être justifié, et ça, que les prédateurs soient des hommes socialement puissants ou des dirigeants qui défendent une cause en laquelle on croit.
Soyons clairs, je ne suis pas en train de dire que toutes les personnes accusées sont automatiquement coupables. La question est de gérer les accusations d’une manière ouverte qui permette de les investiguer correctement. Si il n’y a pas assez de preuves pour mener l’affaire en justice, il est important, et c’est le minimum, d’être extrêmement vigilants et de limiter leur possibilité d’atteindre des personnes vulnérables, ou de créer un environnement plus sur pour les cibles potentielles. 
Ces mesures n'équivalent pas à déclarer quelqu‘un coupable avant le procès; chaque allégation devrait également faire l'objet d'enquêtes sérieuses - mais à tenir compte du fait que le mensonge, l'intimidation et le fait d’essayer de réduire les victimes et les témoins au silence, font partie des tactiques de manipulation des agresseurs; techniques qui comprennent souvent aussi l'isolement de la victime, le fait de la ridiculiser et accuser l'accusateur et les témoins qui tirent la sonnette d’alarme.
Tous ceux qui pensent qu’il est prudent de cacher des abus pour le bien de quelque noble cause ou de l’organisation qu’on chérit doivent tirer les leçons des événements récents. Les prédateurs sexuels sont prêts à créer des risques autant pour les autres que pour eux-mêmes. Comme l’a récemment découvert la BBC, les couvrir c’est prendre le risque de faire déteindre et de ternir les institutions en causes, bien plus que si les abus sont traités de manière responsable, et ce sans tenir compte de à quel point la personne mise en cause est importante ou célèbre. C’est une leçon difficile à apprendre, mais les personnes engagées dans des mouvements pour la paix ou dans des organisations progressistes doivent cesser le deux poids-deux mesures qui justifie et se rend complice de violences sexuelles dans leurs propres organisations. Comme le montre le cas récent du SWP britannique qui a tenté d’éviter à un des ces membres historiques de prendre sa responsabilité face à des accusations de viol, les organisations progressistes doivent avoir une compréhension limpide de la façon dont les prédateurs sexuels opèrent, de comment ils choisissent leur cibles (ce qui dans le cas des partis et des mouvements politiques peut être de recruter des jeunes femmes idéalistes qui veulent rejoindre la cause, aider et apprendre), et de comment il réussissent à camoufler leurs comportements abusifs et trouvent des complices qui ferment les yeux au nom de leur « bon travail » et de leur défense de la « cause ».
Si nous avons à cœur de construire des mouvements plus démocratiques, participatifs et justes, alors nous devons adopter des principes comme la diversité, la non-violence, et l’opposition au sexisme, au racisme et aux autres discriminations et abus, et ce dans la pratique. Cela signifie ne pas avoir peur d’affronter et d’exposer ceux qui répètent les pratiques patriarcales de collusion avec les auteurs de comportements abusifs.  
Puisque les preuves d’harcèlement sexuel et d’abus sons souvent opaques à cause de la crainte des victimes de s’exprimer ouvertement, il est important de reconnaître et d’acter les phénomènes, les signes et les signaux. Une vilaine histoire peut être malveillante ou non fondée, mais elle doit tout de même être vérifiée. Lorsque le nom d’une personne est lié à plusieurs accusations, ou à des rumeurs persistantes de comportements inappropriés, coercitifs ou prédateurs, alors ce n’est pas une plaisanterie. C’est une menace potentielle. Ça nécessite une enquête. Si vous ne prenez pas ces indications au sérieux, vous pourriez perpétuer ou faciliter des crimes contre des personnes vulnérables. Les abuseurs ne détruisent pas que des vies innocentes. Si vous vous les ignorez ou leur permettez d’agir, cela peut aussi vous atteindre vous, ou la cause que vous chérissez.

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